Initié par Hélène Bourdeloie et Léna Hübner et co-organisé par le LabSIC (Laboratoire des Sciences de l’information et de la communication, Université Sorbonne Paris Nord, France) et le CRICIS (Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société, Québec, Canada), le séminaire Genre(s) et méthodes (GEM) s’attache à étudier les questions féministes, intersectionnelles et de genre(s) en termes de méthodes, méthodologies et épistémologies. Concept transdisciplinaire fluide et non figé, le genre – ou les genres, pour échapper à un fonctionnement social binaire – a fait l’objet de travaux qui, en proposant un décentrement radical, ont transformé le paysage des sciences sociales et humaines tout au long du XXe siècle. Ce séminaire a pour objectif de proposer un espace pour discuter des apports de ces études à la pratique scientifique. Nous y discutons des façons de faire de la recherche lorsqu’on travaille sur le(s) genre(s), de ses / leurs articulations avec d’autres formes de minoration, et du pouvoir critique de cet outil pour désessentialiser le monde social. Cherchant à soustraire la réflexion à la pensée universaliste, nous y décentrons les regards pour aborder les questions de luttes, de résistances, à l’exemple de celles de corps racisés qui subissent différents rapports de domination. Nous réfléchissons à la façon dont sont opérés les décentrements des concepts et aux démarches mises en œuvre pour déconstruire les normes dominantes sur les identités de genre, les sexualités et d’autres rapports de pouvoir comme la classe ou la race. Pluriels, les questionnements portent sur la capacité à penser le positionnement de la chercheuse ou du chercheur, son engagement, sa subjectivité, le dévoilement de biais en termes de production ou d’interprétation de données, la réflexivité sur ces biais en tant que ressources heuristiques, épistémiques ou politiques, les questions éthiques soulevées par des objets perçus comme impurs, ou encore l’historiographie ou l’analyse du caractère genré d’un objet ou d’un dispositif d’enquête… Il s’avère pertinent de mettre au jour et d’analyser les façons dont le(s) genre(s) – ainsi que les concepts qui lui / leur sont rattaché(s) – sont travaillés et reconstruits par le terrain… Enfin, cet espace de dialogue a aussi pour vocation d’interroger la possible singularité des méthodes, méthodologies et épistémologies des approches par le genre et des études féministes et intersectionnelles. Ce séminaire met en lumière des travaux s’inscrivant dans les champs des médias et de la communication, et plus largement en sciences humaines et sociales (sociologie, histoire, anthropologie, sciences politiques ou philosophie…).
Pour un aperçu de la programmation de l’année 2020-2021, cliquez ici.
Programmation de l’année 2021-2022:
24 septembre 2021, 9-12h (15h-18h à Paris):
Analyser les identités culturelles à l’écran
Tara Chanady, chercheure postdoctorale à l’École de Santé Publique de l’Université de Montréal :
Orienter le visible lezbiqueer: Représentation et auto-représentation lesbienne, bi et queer à la télévision de fiction québécoise
Rendre visible quoi, de quelle façon, dans quel contexte, par qui et pour qui? Le dévoilement en-dehors de la sphère intime est un gage d’existence et de reconnaissance sociale pour les groupes minorisés qui participent ainsi à la constitution d’une réalité sociale collective. La visibilité publique et médiatique est un enjeu politique, altérant les paramètres de l’expérience quotidienne des individus (Voirol 2005, 94). L’articulation d’identifications lbtq* dans la sphère publique et médiatique est ainsi centrale à des processus d’auto-représentation et d’auto-reconnaissance (Goyette 2014). Ne pas avoir honte, se reconnaître, construire un sentiment d’existence collective : plusieurs études télévisuelles se sont intéressées aux liens entre les identifications sexuelles et les médias (Driver 2007 & 2008; Schwartz 2016; McInroy & Craig 2017; Smith, Telford & Tree 2017). Toutefois, des enjeux de pouvoir sociaux, culturels, économiques et politiques cadrent les visibilités qui ont accès à un espace médiatique plus largement diffusé comme la télévision populaire. La visibilité n’est donc pas gage d’émancipation, reproduisant des normes hégémoniques (McNicholas Smith & Tyler 2017) au sein d’un réseau standardisé capitaliste (Villajero 2014, 3) par un formatage qui exclue tout élément dissident (Voirol 2005). Comment les relations romantiques et/ou sexuelles entre femmes sont-elles construites; quels éléments sont mis en visibilité; quels discours identitaires sont mobilisés? Cette présentation explorera ces questions dans le contexte du paysage télévisuel québécois récent.
Hélène Breda, Maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication au LabSIC et chercheuse associée à l’IRCAV:
Analyser les discours d’internautes féministes face à la « culture légitime » de la « cinéphilie orthodoxe » : une exploration méthodologique.
Cette communication présentera une partie des recherches que j’ai menées depuis 2016 sur la réception d’œuvres audiovisuelles par des publics féministes « profanes » qui s’expriment en ligne. En croisant des approches antérieures, sur la notion de cinéphilie d’une part et sur les réceptions genrées d’autre part, je souhaite montrer comment des communautés de spectateur.ices ancrent leurs lectures de films et de séries dans « l’espace de la cause des femme » (Bereni, 2012). Elles rappellent ainsi les dimensions sociales et politiques de la Culture, souvent laissées dans l’angle mort d’une critique française professionnelle « orthodoxe » (Jullier, 2012) centrée sur des questions formelles et esthétiques dans une logique auteuriste. A l’occasion du séminaire, je reviendrai sur mon parcours méthodologique et sur les écueils rencontrés lors des phases d’exploration préliminaires de mes terrains numériques.
Vous pouvez visionner la conférence ici.
19 novembre 2021, 9-12h (15h-18h à Paris):
Genre et développement international
Isabelle Auclair, Titulaire de la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, Savoirs et Sociétés et professeure au Département de management de l’Université Laval :
Méthodologies féministes intersectionnelles : documenter et analyser le continuum des violences genrées
En s’appuyant sur diverses recherches portant sur le continuum des violences, notamment dans les trajectoires migratoires et en coopération internationale, cette communication propose une réflexion sur les approches et méthodologies féministes pour documenter et analyser les impacts de l’intersection des systèmes d’oppression dans la production et la reproduction des violences. Tout comme les systèmes d’oppression qui ne sont pas hiérarchisés dans les approches féministes intersectionnelles, les violences étudiées au sein du continuum sont appréhendées de manière non hiérarchique. Le concept de continuum favorise l’exploration de violences qui ne sont pas communément étudiées et vise à approfondir l’analyse et à préciser les actions à entreprendre. En outre, son utilisation dans une perspective féministe intersectionnelle exige un arrimage théorique et empirique par la prise en compte du vécu et du point de vue des femmes elles-mêmes. Il est alors intéressant de se questionner sur les concepts mobilisés, mais également sur les implications méthodologiques liées à l’approche intersectionnelle.
Vous pouvez visionner la conférence ici.
25 mars 2022, 9-12h (15h-18h à Paris):
Genre(s) et sexualités
Elisabeth Mercier, professeure agrégée au département de sociologie de l’Université Laval :
Les discours de prévention du sexting chez les jeunes : entre reproduction hégémonique et résistance
Cette présentation propose des pistes de problématisation du sexting chez les jeunes visant à éclairer certains aspects du phénomène qui demeurent trop souvent évacués des discours et des connaissances produites à son sujet. L’un de ces impensés est celui du slutshaming, c’est-à-dire l’humiliation publique des filles sur la base de leur sexualité, qui est généralement compris comme la conséquence ou le risque inévitable du sexting. À partir d’une analyse de différentes campagnes de prévention du sexting chez les jeunes, au Québec et en France, et des controverses qu’elles ont soulevées sur les réseaux sociaux, la présentation poursuit deux objectifs : 1) comprendre les effets de sens des discours de prévention axés sur le risque pour les filles de se faire humilier et 2) montrer comment le répertoire conceptuel lié à la dénonciation de la culture du viol s’oppose désormais à ces discours, en venant re-signifier leurs principaux termes et arguments.
Arthur Vuattoux, Maître de conférences en sociologie à l’Université Paris 13 (Bobigny):
Les jeunes, la sexualité et internet, enjeux méthodologiques d’une enquête par entretiens rétrospectifs
L’enquête sur les jeunes, la sexualité et internet (SEXI) avait pour objectif de comprendre les usages sexuels d’internet des adolescent-e-s en interrogeant de jeunes adultes (18-25 ans), et sans restreindre le questionnement à des types d’usages. Les entretiens réalisés ont permis, notamment, de mettre au jour les continuités entre pratiques sexuelles en ligne et pratiques culturelles, et un questionnaire exploratoire (n=1427) a permis de donner quelques pistes d’actualisation des enquêtes quantitatives sur la sexualité. Cette communication sera l’occasion de revenir sur les enjeux méthodologiques de cette enquête.
1er avril 2022, 9-12h (15h-18h à Paris):
Représenter le.s genre.s dans les médias
Cécile Méadel, professeure en sciences de l’information et de la communication, Université Paris 2 Panthéon-Assas (IFP)
Se compter pour compter. Compter sans compter. Sur les métriques du genre médiatisé
Les quantifications autour de la présence des genres dans les médias se multiplient sans que l’impact de ces mesures ne soit interrogé. Il s’agira de revenir sur les résultats de la dernière enquête du Global media monitoring project (GMMP) pour analyser leur modalité de construction.
Carol-Ann Rouillard, doctorante en communication à l’UQTR
La parité pour qui? Pistes méthodologies d’étude des objets de recherche associés à une construction binaire du genre
Cette présentation portera sur les défis d’une démarche ayant pour objet un enjeu intimement lié à la construction binaire du genre, les discours sur la parité entre les femmes et les hommes en politique. Inscrites dans la lignée des revendications pour le droit de vote des femmes, les mobilisations paritaires sont elles aussi marquées par un discours essentialiste et universaliste sur le statut des femmes dans l’espace public (Scott, 2005). Qui plus est, les études sur le genre en communication politique, notamment celles sur les représentations médiatiques, entretiennent souvent cette différence basée sur le sexe (voir entre autres Goodyear-Grant, 2019 ; Lalancette et Lemarier-Saulnier, 2012).
Dans ce contexte, comment tenir compte de cette pluralité du genre dans l’étude d’un objet dont les manifestations et compréhensions sociales sont associées de près à la construction binaire du genre, voire à la notion de sexe ? Nous explorerons dans un premier temps l’apport d’une démarche inductive (Guillemette et Luckerhoff, 2009) dans la sélection et l’analyse des données. Dans un second temps, nous discuterons des conséquences du choix de l’analyse des discours médiatiques comme produits d’un interdiscours (Pêcheux, 1975) porteur de sens. Enfin, nous réfléchirons aux limites imposées par le choix de supports marqués par rapports de pouvoir que sont les médias. La présentation s’appuiera sur des données tirées de l’étude médiatique de dix conseils des ministres (7 paritaires et 3 non-paritaires) au Canada et dans trois de ses provinces.
Vous pouvez visionner la présentation de Cécile Méadel ici.
20 mai 2022, 9-12h (15h-18h à Paris):
Le genre comme démarche pour les objets historiques
Claire Blandin, Historienne des médias et Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Sorbonne Paris Nord.
Les silences de l’histoire. Inventer des archives pour écrire l’histoire des femmes
Cette intervention de réflexion méthodologique partira des travaux de Michelle Perrot sur les « silences de l’histoire » qui ne fait pas de place aux femmes. Il s’agit de montrer comment, en histoire contemporaine du second vingtième siècle, les sources médiatiques, l’histoire orale et la collecte des archives privées permettent de contourner les lacunes des fonds plus traditionnels. La présentation s’appuiera sur deux entreprises biographiques en cours : l’écriture d’un livre sur Hélène Gordon-Lazareff et le recueil d’archives familiales sur la place des femmes dans la guerre d’Algérie.
Claire Carlin, professeure émérite de littérature française à l’Université de Victoria
Histoire et imaginaire : la représentation du genre
Aux années 80, l’influence des revendications féministes se faisaient sentir en études littéraires, obligeant les chercheuses et les chercheurs à prendre position. Dans mon domaine, la première modernité, le refus de la majorité de critiques littéraires en France d’admettre le bien-fondé des lectures féministes menait régulièrement à la dénonciation de « l’influence américaine ». Néanmoins, pendant la période aux années 90 où les études féministes devenaient les études du genre, il y avait de plus en plus de « convertis » des deux côtés de l’Atlantique : le concept du genre devenait un outil incontournable en études littéraires. Les études du genre se sont épanouies dans le contexte d’une mise en question méthodologique généralisée qui nous incitait non seulement à explorer de nouvelles façons de lire mais aussi à élargir nos objets d’étude au-delà des textes considérés comme « littéraires » : aucun texte ne serait exclu de nos champs d’intérêt.
Mes recherches depuis plus de 20 ans sur le mariage du XVIe au XVIIIe siècle témoignent de cette tendance à quitter les bornes du domaine strictement littéraire. Avec comme point de départ méthodologique « l’imaginaire nuptial », je cherche à découvrir non pas la vérité du vécu des gens du passé mais plutôt les représentations textuelles et visuelles des désirs et des hantises dominants de la société française de l’époque. Travailler avec les collègues en histoire culturelle et en histoire de l’art m’a permis d’aborder la construction sociale et politique du genre avec l’esprit bien plus ouvert : la convergence fait la force.