En 1995, Michel Freitag, alors sociologue à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), publiait un ouvrage au titre retentissant Le naufrage de l’Université en mettant de l’avant la thèse selon laquelle si notre institution était avant tout un lieu délivrant une culture désintéressée et un savoir ayant valeur universelle, de plus en plus, elle tendait à délivrer un savoir « utilitaire », visant avant tout l’efficacité pragmatique. Traditionnellement, nous dit Freitag, notre institution était le coeur de la réflexion critique. À travers l’enseignement et les autres espaces de débat, le sens de la vie humaine et de la vie en société était posé. Dorénavant, l’université se fixerait avant tout pour objectif de s’adapter au marché du travail capitaliste. Cinq ans plus tard, dans un collectif étudiant émanant de l’UQAM, L’essor de nos vies. Parti pris pour la société et la justice, il appelait la communauté universitaire, tant ses collègues que les étudiant.e.s à redevenir des intellectuels « engagés et militants ». Que pouvons-nous dire au sujet des transformations que connaît notre institution une vingtaine d’années plus tard ? Deux collègues, Luc Bonneville et Arnaud Mercier apportent des éléments de réponse et nous invitent à leur tour à débattre à ce sujet, alors que bien souvent, nous faisons comme si rien ne changeait…
Des professeur(e)s hyper-débordé(e)s, fatigué(e)s, mis(es) sous pression ? Contexte, enjeux et témoignages
- Luc Bonneville, Professeur titulaire, Département de communication, Université d’Ottawa, codirecteur, Groupe de recherche interdisciplinaire en communication organisationnelle (GRICO)
Résumé: On a vu se multiplier, au cours des dernières années, les contraintes, tensions et pressions en milieu de travail. Rationalisation, restructuration du travail, reengineering, transformation des modes de gestion, etc., ont tôt fait de transformer le quotidien des travailleur.e.s. L’université n’y échappe pas, comme en témoignent plusieurs de nos enquêtes sur les difficultés auxquelles sont confrontés les professeur.e.s dans leur quotidien (et en particulier les professeures). Nous voudrions profiter de la tribune qui nous est offerte pour revenir sur les enjeux de ces transformations en prenant appui sur ce que les professeur.e.s eux-mêmes et elles-mêmes en disent.
Notice biographique: Luc Bonneville est professeur titulaire au département de communication de l’Université d’Ottawa. Il est co-directeur du Groupe de recherche interdisciplinaire en communication organisationnelle (GRICO) de l’Université d’Ottawa, vice-président du RC14 en Sociologie de la communication de l’Association internationale de sociologie (AIS), chercheur affilié à l’Institut du Savoir de l’Hôpital Montfort et chercheur associé au CRICIS.
Références bibliographiques:
- Bonneville Luc, 2014, « Les pressions vécues et décrites par des professeurs d’une université canadienne. Témoignages », Questions de communication, No. 26, 2014, p. 197-218.
- Bonneville Luc et France Aubin, 2017, « Le cumul des désavantages des professeures d’université ». Revista eletrônica internacional de Economia Política da Informação, da Comunicação e da Cultura (Brésil), Vol. 19, No. 1, 2017, p. 184-202, https://seer.ufs.br/index.php/eptic/article/view/6363
- George Éric, 2013, « La dérive des universités, vue de l’autre côté de l’océan Atlantique », Questions de communication, rubrique Échanges, n° 23, pp. 231-250.
- Leclerc Chantal, Bruno Bourassa et Christian Macé, « Dérives de la recherche et détresse psychologique chez les universitaires », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 19-2.
Les faux-semblants du discours de l’excellence et des pressions à la fusion des universités
- Arnaud Mercier, Professeur des Universités, Sciences de l’information et de la communication, Université Paris 2 – Panthéon-Assas, chercheur, Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias (CARISM)
Résumé: L’introduction à marché forcée, en France, des logiques néo-managériales sur le corps social universitaire s’accompagne d’une redoutable novlangue célébrant la pseudo excellence, la recherche sur projet et faisant l’éloge des universités de grande taille afin d’acquérir une visibilité internationale plus forte. Nous montrerons que ces discours sont des fadaises, cachant mal une idéologie, des rationalisations budgétaires et des idées fausses. Tout ceci fragilisant les universités et la recherche plutôt que les renforçant.
Notice biographique: Arnaud Mercier est lauréat de l’IEP de Paris, et docteur en science politique à l’IEP. Il a roulé sa bosse dans les universités françaises, étant tout à tour ATER à la faculté de droit de Grenoble 2 (fusionnée depuis dans l’université Grenoble Alpes), ATER à l’université Lyon 3 (incluse depuis dans la COMUE Université de Lyon), il a été maître de conférences en science politique à l’université de Nice. Il est devenu professeur en information et communication à l’Université Paul Verlaine de Metz en 2005. De 2008 à 2010, il y fut directeur de l’UFR Sciences Humaines et Arts, avant de démissionner pour protester contre les modalités de fusion à marche forcée avec les trois universités de Nancy pour fonder l’université de Lorraine, conformément aux « amicales pressions » des élus régionaux et à la politique de la carotte du ministère. Il a muté en septembre 2015 à l’Institut Français de Presse, au sein de l’université Paris 2 – Assas qui s’est échappée de la COMUE où elle était engagée avec les universités Paris 4 et Paris 6 qui ont voté, elles, leur fusion pour 2018.
Références bibliographiques
- Baumgartner Étienne et Guy Solle Guy, 2006, Établissements universitaires : changements institutionnels et approche client. Quelle pertinence ?, dans Politiques et management public, vol. 24 n° 3, 2006. L’action publique au risque du client ? Client-centrisme et citoyenneté. Actes du quinzième Colloque international – Lille, jeudi 16 mars et vendredi 17 mars 2006 organisé en collaboration avec Sciences-Po Lille – Tome 1. pp. 123-143.
- Mabilon-Bonfils Beatrice, 2016, « La recherche française est-elle en crise ? », 2016, the conversation.com.
- Mercier Arnaud, 2012, « Dérives des universités, périls des universitaires » Questions de communication, n°22, p. 197-234.